Etienne Chatton (Quand la passion se fait destin)
- Französisch
- 2002-10-01
- Dauer: 00:47:41
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Beschreibung
Rien ne prédisposait Etienne Chatton, né dans un milieu de petits paysans, à développer un goût pour les arts. Mais, dit-il, "ce sont les dieux qui règlent tout et qui vous désignent pour une fonction". La sienne fut Conservateur des monuments historiques du Canton de Fribourg. Mais du genre samouraï, car la bagarre était grande au temps de Vatican II. Sa devise: ne jamais restaurer une église sans exiger une création. C'est ainsi que Manessier, Castro, Anselmo et d'autres exécutèrent les splendides vitraux des églises fribourgeoises restaurées. Après vingt ans, Etienne Chatton quitte cette fonction pour entrer à la Bibliothèque Cantonale et Universitaire où il réalise un catalogue raisonné de plusieurs compositeurs fribourgeois. Toujours le souci de la conservation du patrimoine. Puis ce furent la fondation du Centre international d'Art fantastique au Château de Gruyère, la création d'un opéra rock et aujourd'hui, le projet d'ouvrir un musée de la femme.
00:00:00 – 00:00:12 (Séquence 0) : Générique de début du Plans-Fixes consacré à Etienne Chatton et tourné à Fribourg le 1er octobre 2002. L'interlocutrice est Mousse Boulanger.
00:00:12 – 00:01:38 (Séquence 1) : Etienne Chatton présente une sculpture de sa collection, un minotaure. Il explique que c'est une statue qui le représente. Il est né le 26 avril, dans le signe du Taureau. Le Soleil est conjoint à Vénus, ce qui n'est pas un atout pour devenir un bon curé. Il est conjoint aussi à Mercure et à la Lune, donc c'est la puissance des émotions, ce qui est favorable à un collectionneur ou à un amateur d'art. Il collectionne peu parce que ses moyens sont limités. Il aime la peinture mais il s'attache plus à la sculpture. Elle est l'expression des vertus civiques sur les places publiques. Il s'intéresse à la manière dont on expose, sur une place publique, les symboles qui font la grandeur d'un pays.
00:01:39 – 00:01:50 (Séquence 2) : Générique de début du Plans-Fixes consacré à Etienne Chatton et tourné à Fribourg le 1er octobre 2002. L'interlocutrice est Mousse Boulanger.
00:01:51 – 00:02:55 (Séquence 3) : Etienne Chatton explique que la peinture et la sculpture ont été pour lui une passion de tout temps. A ses six ou sept ans, pendant la guerre, il modelait des restes de pâte que sa mère lui laissait quand elle préparait le pain. La liturgie, le baroque à l'église, le curé dans sa robe en dalmatique dorée l'impressionnaient et il rêvait de devenir curé. Sa troisième passion, la plus importante, a été la littérature. Le premier jour de l'école normale, Michel Corboz lui a passé une pièce en vers de Hernani : "Je suis une force qui va, je suis un ver de terre amoureux d'une étoile."
00:02:56 – 00:04:07 (Séquence 4) : L'interlocutrice précise que, dans sa famille, il n'y avait pas une voie ouverte sur les arts. Etienne Chatton explique qu'à la maison il y avait deux voies ouvertes : sur la sexualité par un livre de médecine vétérinaire et sur l'ésotérisme par un livre sur les miracles de Lourdes. Ses parents étaient des petits paysans relativement pauvres. Ils avaient sept enfants, dont il était l'aîné. Rien ne le prédisposait à devenir ce qu'il est aujourd'hui. Il pense qu'il serait devenu un mauvais domestique de campagne. Selon lui, ce sont les dieux qui l'ont guidé. Il n'a jamais su où il allait. Il dit qu'il y a des forces qui nous destinent, il faut les laisser s'exprimer.
00:04:08 – 00:05:33 (Séquence 5) : Pour Etienne Chatton, l'entrée à l'école secondaire a été un problème. Il avait 15 ans, alors que ses camarades en avaient 12. Une tante avait songé à l’inscrire dans une école spéciale pour retardés. Etienne Chatton a finalement réussi son entrée à l'école. Il explique que les fils de paysans n'allaient pas à l'école du premier mai jusqu'au premier novembre car ils travaillaient dans les champs. De ses 12 ans à 15 ans, il n'a jamais eu d'école en été et son orthographe est restée délicate jusqu'au brevet d'enseignement. Avec Michel Corboz, ils avaient mis sur pied un système de tricherie : Michel Corboz était fort en orthographe et lui en comptabilité. Malheureusement, ils ont été placés loin l'un de l'autre, mais les dieux l'ont à nouveau aidé.
00:05:35 – 00:06:27 (Séquence 6) : Etienne Chatton a directement enseigné après l'école normale, il avait besoin de gagner sa vie. Après l'école, il partait en train écouter les cours de littérature, d'histoire et d'histoire de l'art à l'Université de Fribourg.
00:06:30 – 00:07:37 (Séquence 7) : Etienne Chatton parle des cours d'histoire de l'art. Il a commencé avec un cours sur Charlemagne et la civilisation européenne. Jusque-là, il avait été cantonné dans une vision fribourgeoise et locale. Le cours a été une ouverture sur l'Europe. Il arrivait en retard aux cours mais il en était ébloui. L'Europe s'ouvrait dans ces cours, avec le christianisme, l'architecture, les grandes idées, la résurgence de la latinité. Les cours étaient en allemand. Il réalisait que l'histoire de l'art et de la civilisation l'intéressait avant tout.
00:07:40 – 00:08:43 (Séquence 8) : Etienne Chatton explique que, parallèlement à l'université, il a suivi des cours de chant au conservatoire. C'était le grand moment d'Eric Tappy. Il a eu la chance d'avoir Juliette Bise comme professeur, qui avait enseigné à Tappy aussi. Etienne Chatton avait une bonne voix, mais il n'était pas assez musicien, et surtout il avait commencé trop tard, à 20 ans. Néanmoins, il était fasciné par l'opéra. Il cite des paroles du Don Giovanni de Mozart: "Fin ch'han dal vino calda la testa". A l'école normale, il avait eu des cours de piano et d’orgue mais le chant et la présence scénique l'intéressaient davantage. Avec Jo Baeriswyl, ancien directeur des Compagnons de Romandie, il avait joué Scapin dans "Les fourberies de Scapin".
00:08:47 – 00:10:38 (Séquence 9) : Etienne Chatton explique que les dieux l'ont guidé dans son choix. Il avait trois perspectives. Il était professeur de didactique et il aurait pu obtenir un poste à l'université. L'histoire de l'art était précieuse, elle permettait par exemple d'illustrer les fables de Lafontaine par les tableaux de Versailles. Il ne pense pas qu'il aurait pu faire une carrière de chanteur. Un professeur lui avait conseillé de devenir conservateur des Monuments historiques du canton de Fribourg : s'il n’en avait pas les qualités, il en avait du moins les défauts. Il était un "samurai", il adorait la bagarre, il ne craignait pas les coups, il avait le caractère idéal pour ce type de poste. Il aimait le patrimoine historique qui, selon lui, incarne la force d'un peuple. Ce professeur lui avait conseillé de faire une année à l'Ecole polytechnique de Zurich et ensuite une année en France. Marcel Strub a essayé de le détourner de ce projet en lui proposant un poste dans le musée qu'il dirigeait. Il a choisi de devenir conservateur.
00:10:42 – 00:11:18 (Séquence 10) : Etienne Chatton explique qu'il a commencé un doctorat en histoire de l'art. Son thème était mal choisi : les apports de la famille Englisberg du XIIe jusqu'au XVIe siècle. Il lui aurait fallu plus de connaissances en histoire de paléographie car il était confronté à des textes en allemand, en vieux français et en latin. Il a rédigé une thèse tout en travaillant à côté. Sa thèse lui a permis de se plonger complètement dans l'histoire de l'art fribourgeoise.
00:11:23 – 00:14:01 (Séquence 11) : Etienne Chatton parle de son intérêt pour le folklore. Il avait été invité en Sicile pour la fête des amandiers en fleurs, avec un groupe folklorique fribourgeois. Il a ensuite fondé la "Villanelle", un groupe de chant. Ses leçons avec Juliette Bise l'ont aidé à travailler les voix. Ses rapports avec César Joffrey et la France lui ont ouvert un autre répertoire. Mais il a vite réalisé que le folklore n'avait pas d'issue. Le canton de Fribourg a vécu sous la coupe de l'Eglise. Le seul instrument permis était l'orgue, le bal était pourchassé. Aucune autre civilisation, en dehors de l'Eglise, n'avait pu éclore. Ils jouaient des valses et des polkas de Suisse allemande mais c'était dérisoire. La seule chance du folklore était dans les costumes, bien que la beauté n'ait jamais été une valeur. Les femmes devaient être pieuses, les hommes forts. Il est fasciné par le folklore de l'Est, les bals et la musique influencés par les Tziganes. La polka ne l'a pas intéressé.
00:14:06 – 00:14:32 (Séquence 12) : Etienne Chatton parle de l'art religieux dans le canton de Fribourg. L'art religieux est somptueux surtout dans la statuaire, moins dans la peinture. D'autres formes de civilisation ont été étouffées par la religion. La pauvreté n'expliquerait pas cette absence d'autres arts, car des pays encore plus pauvres ont le goût de l'amusement.
00:14:38 – 00:16:07 (Séquence 13) : Etienne Chatton s'était promis de ne pas rester dans l'enseignement primaire. Il avait donné son congé à l'école avant d'obtenir son brevet pour le secondaire. Durant les étés de ses études, il n'avait pas pu beaucoup étudier car il a fait carrière militaire. Il n'a pas retrouvé un poste après ses études et son congé. Il lui a été offert de fonder une école à Evolène. Il était content parce que c'était une autre civilisation. Il dit venir d'une civilisation influencée par la Germanie. A Evolène, il y avait une civilisation curieuse. Il y avait un reste de civilisation de Bédouins, des Eurasiens et une civilisation alpestre dirigée par l'Eglise, plus encore que le canton de Fribourg. Son successeur à l'école a dû partir parce que l'école se voulait catholique.
00:16:14 – 00:17:14 (Séquence 14) : Etienne Chatton parle de son séjour à Evolène, une expérience superbe. Les personnes étaient très subtiles et raffinées selon lui. Le seul problème est que les habitants attendaient tout de l'école secondaire. Ils parlaient patois et pendant six mois par an ils vivaient dans les alpages. En deux ans, ils espéraient obtenir un poste de fonctionnaire à l'Etat du Valais. Il était impossible qu'ils rivalisent avec des gens qui avaient eu une scolarité normale et qui parlaient français. Etienne Chatton était effrayé par l'espoir, les attentes que les gens mettaient en lui et auxquels il ne pouvait pas répondre. Quelques élèves ont cependant pu aller à l'école normale.
00:17:21 – 00:18:44 (Séquence 15) : Etienne Chatton a enseigné pendant sept ans à l'école secondaire de Fribourg, parallèlement il a rédigé son doctorat. Grâce à de bonnes relations qu'il avait à Paris, il a pu aller un mois au laboratoire du Louvre. Il avait accès aux techniques d'analyse des tableaux les plus raffinées et sophistiquées. Il a été ensuite affecté aux Monuments historiques français. Il était adjoint de l'inspecteur général, qui avait en charge Versailles, Fontainebleau, et tous les châteaux de la Loire. Etienne Chatton a sillonné toute la France. L'inspecteur était descendant de banquiers de Louis XV. Etienne Chatton était fils de paysans avec des valeurs campagnardes fribourgeoises. Il découvrait un autre monde.
00:18:52 – 00:20:33 (Séquence 16) : Etienne Chatton parle des endroits qu'il a visités en France comme adjoint aux monuments historiques. Les grandes églises romanes, Tournus. Il a appris à Fontainebleau comment on ordonnait un château. Le château de Fontainebleau a 200 pièces. Chacune devait avoir un caractère, une couleur. Il a pu pénétrer dans le monde de la grande manufacture, des restaurateurs de tableaux, de statues, de bronzes et les orfèvres. Aussi, il a pénétré dans l'art d'analyser une pièce. Etienne Chatton explique que l'examen pour entrer aux Monuments historiques français portait sur un calice bricolé par des éléments de différents âges. Son directeur lui a montré comment analyser cette pièce. Aussi, il l'a suivi aux ventes aux enchères où il usait d'un droit de préemption. Il explique que les dieux encore une fois lui ont montré le chemin. L'interlocutrice lui demande si c'est à ce moment qu'il a eu envie de devenir châtelain. Il répond affirmativement mais ajoute que pour pouvoir le réaliser il lui aurait fallu aussi appartenir à la descendance d'un banquier de Louis XV.
00:20:42 – 00:22:37 (Séquence 17) : De retour de France, Etienne Chatton a occupé le poste de conservateur des monuments historiques à Fribourg. Ce n'était pas un poste pour diplomate mais pour "samurai". Lors de la première séance, il était question d'une nouvelle église à Villarepos, projet qui visait à démolir la précédente, du XVIIIe siècle, avec des fresques de Locher au plafond. L'architecte cantonal ne voulait pas entrer en matière, il était décidé à la détruire. Etienne Chatton se trouvait sans soutien des institutions de sauvegarde qui l'identifiaient à l'Etat. Il rétorqua aux conseillers d'Etat que l'histoire aurait fait un scandale. Ils l'ont menacé de le mettre à la porte. Il explique que plusieurs curés croyaient ne pas pouvoir entrer au paradis sans avoir construit une église, mais comme il y en avait déjà partout, souvent il fallait détruire la précédente. La commission des monuments historiques était exemplaire. Représentants de l'Etat et historiens de l'art étaient conscients du patrimoine à sauvegarder.
00:22:46 – 00:24:07 (Séquence 18) : Etienne Chatton explique qu'avec le concile de Vatican II, il y a eu un mouvement iconoclaste. Dans la commission d'art sacré, il cite le cas d'un Monsieur qui voulait tout faire disparaître. Il voulait avoir des églises cisterciennes. Il se plaignait aussi que les tableaux qui avaient été enlevés de la cathédrale n'aient pas brûlé dans un incendie. Le peuple était attaché à ce patrimoine. Etienne Chatton pense avoir évité, avec la commission du patrimoine, les problèmes d'intégrisme. L'Eglise d'Econe n'a pas pu s'implanter, malgré l'autorisation. A Fribourg, ils ont évité des conflits comme en Valais car l'Etat s'est chargé de la défense du patrimoine religieux, qui se transformait en patrimoine du peuple, de la patrie. Sans cela le sentiment de la patrie risquait de se perdre.
00:24:17 – 00:25:13 (Séquence 19) : L'interlocutrice rappelle qu'Etienne Chatton a restauré une soixantaine d'églises et mis des vitraux contemporains qui ont provoqué des controverses. Etienne Chatton explique qu'il a pu bénéficier d'un nouveau climat. L'Eglise avait appliqué une taxe et il y avait de l'argent pour la restauration. Etienne Chatton a cru, à tort, que la société entrait dans une période de désaffection religieuse et qu'il fallait restaurer toutes les églises. Il sait qu’il s’est trompé, car les paroisses ont repris le rôle culturel de l'Etat. L’esprit communautaire s'est créé en partie à travers le monument.
00:25:23 – 00:26:39 (Séquence 20) : Etienne Chatton a dû établir pour les vitraux un rapport sur l'état de la création dans le canton de Fribourg. Il explique que leur création était confiée à deux ou trois artistes bien vus par des curés. Etienne Chatton considérait qu’il fallait faire comme Jeanne Bueche dans le Jura, une politique de création : ne pas donner des subsides pour la restauration sans exiger une création afin que le patrimoine ne soit pas toujours un bilan négatif. Etienne Chatton a eu la chance d'entrer en contact avec de grands artistes français délaissés dans leur pays, Manessier, Bazaine, Castro, Anselmo. Une douzaine de conservateurs des monuments historiques français sont venus visiter les œuvres de Manessier à la Cathédrale de Fribourg. Jacques Dupont, président, a regretté qu'un tel chef-d'œuvre ne soit pas en France, qu'ils n'aient pas su le commander. La pratique voulait qu'on ne s'adresse plus aux artistes mais aux artisans verriers.
00:26:50 – 00:28:08 (Séquence 21) : Etienne Chatton explique que, dans un colloque international de l'UNESCO sur les créations contemporaines dans les ensembles anciens, étaient citées, sur une douzaine d'exemples, cinq œuvres fribourgeoises. Une consécration ignorée dans le canton de Fribourg. Les vitraux de la Glâne sont devenus patrimoine. Personne ne connaît les combats qu'il a fallu pour les imposer. La Presse, "La Liberté", n'en a pas parlé. Etienne Chatton a été attaqué, des lettres ont été publiées dans les journaux et on lui reprochait son travail dans la chapelle du Saint-Sépulcre. Elle fait partie aujourd'hui des grandes créations de l'art sacré.
00:28:19 – 00:29:03 (Séquence 22) : Etienne Chatton a écrit un livre, avec l'Imprimerie Fragnière et Loisirs et Pédagogie : "Les nouveaux signes du sacré". Il fallait prouver, surtout à Romont près du Musée du vitrail, que l'Eglise et ses doctrines pouvaient encore influencer de grandes œuvres. Il explique que les dieux parlent et qu'il faut se taire au bon moment. Etienne Chatton cite différents artistes : Castro à Romont, Manessier à la Cathédrale, Bazaine à Berlens, Anselmo à l'église de Grangettes, Charles Cottet à Ursy, Buri à Mézières.
00:29:15 – 00:29:56 (Séquence 23) : L'interlocutrice demande à Etienne Chatton de définir l'art sacré contemporain. Il explique que les artistes qui parlent des forces d'en haut ou d'en bas sont intéressants. Selon lui, les artistes qu'il a cités ont un don prophétique. Dans leurs œuvres, ils annoncent quelque chose de nouveau. Il cite la "Pentecôte" à la Cathédrale, le vitrail du Saint-Sépulcre, "La nuit tombante" d'après le poème de Peguy, où le sang du Christ irrigue la terre. Le grand prophète à Romont est l'ouverture au nouvel art sacré du XXIe siècle.
00:30:09 – 00:30:48 (Séquence 24) : Etienne Chatton parle de sa carrière et de son passage du poste de conservateur des Monuments historiques à la Bibliothèque cantonale. Il estime que 20 années de pouvoir étaient suffisantes, il avait l'impression d'entrer dans une forme de vieillesse. Il a laissé la place à des forces plus jeunes, dynamiques et combatives, bien qu'il y ait eu après lui des diplomates et non pas des guerriers.
00:31:01 – 00:33:03 (Séquence 25) : Etienne Chatton dit avoir eu une chance énorme à la Bibliothèque cantonale. Il était très lié aux musiciens, Pierre Kaelin, Bernard Chenaux, Oscar Moret, Georges Aeby. Selon lui, un bon conservateur est un escroc, un mauvais produit des fiches. Il a donc "arraché" tous les manuscrits de ces artistes et les a déposés à la bibliothèque, dans le patrimoine public. Il a ensuite fait un catalogue raisonné de chacune des œuvres, qu'il a ensuite publié. Après l'affaire des vitraux, il pensait que sa carrière était finie. LSi, dans le canton, il n'y avait pas de tradition iconographique, il y avait une formidable tradition musicale. Il aurait aimé s'occuper des jeunes musiciens en organisant chaque année un concert à la Bibliothèque. Après dix ans et douze livres, il est parti à la retraite.
00:33:16 – 00:34:22 (Séquence 26) : Etienne Chatton parle de son travail comme conservateur au Château de Gruyère. C'était un musée statique et il avait envie de le rendre plus dynamique. Après avoir consulté plusieurs personnes, dont René Berger, il a fondé le Centre international de l'art fantastique. Un créneau libre en Europe et qui avait deux points d'appui : la Maison d'Ailleurs à Yverdon, qui travaillait sur la science-fiction, et le Musée de l'Art brut à Lausanne, qui travaillait sur l'art des fous, sur le délire. L'art fantastique est au confluent de ces deux courants mais surtout au confluent de l'art sacré. Sur un plan profane, il rejoignait ce qu'il avait fait avec le vitrail.
00:34:36 – 00:36:10 (Séquence 27) : Etienne Chatton explique que le Château de Gruyère est visité par 150000 personnes par année, dont très peu de Fribourgeois. La mentalité fribourgeoise n'est pas ouverte à l'art fantastique : le sacré, la sorcellerie, le sexe et les sciences occultes. Il a dû faire appel à des artistes du monde entier. Les pays de l'Est ont été très accueillants. Il explique que les écoles d'art de ces pays, à la différence des Suisses, apprenaient un métier, les étudiants étaient donc aptes à s'exprimer. Il a eu le privilège de rencontrer [ Aparine ], [ Siomash ], [ Durovic ], [ Ulargic ]. Il a rencontré les meilleurs sculpteurs italiens : Inglesi de Sienne, Severino de Milan, Fontanella, à qui 20 ans auparavant il avait confié la création de quatre bas-relief sur les mystères douloureux dans l'Eglise d'Estavayer-le-Gibloux, et qui a environ 800 collectionneurs en Suisse romande. Des artistes qu'il expose maintenant à La Roche-sur-Foron, en France.
00:36:25 – 00:37:54 (Séquence 28) : Etienne Chatton explique que lorsqu'il a appris que les œuvres qu'il avait acquises pour le Château de Gruyère, une soixantaine, étaient destinées à un dépôt, il s'est appliqué pour les exposer en Italie. Le professeur Janus disait que ces oeuvres étaient le fondement du musée du XXIe siècle. Il avait deux objectifs : attirer l'attention de l'Italie sur l'art fantastique, mais surtout garantir la permanence de ces oeuvres. Les Italiens, en échange du transport des oeuvres à Piombino et Sienne, lui ont offert le catalogue. Les œuvres ne pourront plus être vendues et leur existence ne pourra plus être niée. Elles existent dans la conscience internationale. Il explique que les Fribourgeois n'ont pas pour l'art contemporain l'ouverture dont ils avaient fait preuve par le passé grâce à l'Eglise. En effet, après le concile de Trente, Fribourg a reçu les meilleurs artistes d'Allemagne et de Bourgogne qui ont créé le Saint-Sépulcre à Fribourg.
00:38:09 – 00:38:22 (Séquence 29) : Etienne Chatton parle de Leza Lidow, une artiste de la côte Ouest des Etats-Unis. Elle avait fait une œuvre sur le combat des sexes. C'était la seule à exprimer les mythes contemporains, les mythes de changement de civilisation. Etienne Chatton était fier de l'exposer en Italie.
00:38:38 – 00:42:40 (Séquence 30) : Etienne Chatton parle d'un opéra rock. Leza Lidow lui en a donné l'idée. Depuis longtemps, il avait envie d'écrire sur les échecs. La symbolique guerrière du jeu a trouvé une nouvelle interprétation, grâce à Leza Lidow, avec le combat entre hommes et femmes : les femmes en rouge et les hommes en bleu; les filles-fleurs et les garçons-obusiers. Etienne Chatton a choisi une autre solution : l'astrologie. Pour chaque personnage du jeu d'échecs, il y a un dieu et une tendance humaine. Il explique que rien n'a changé autant que les relations entre hommes et femmes. Dans l'introduction, il parle de l'archéologie de l'amour, le matriarcat et le patriarcat. Ensuite, il passe au jeu d'échec: le roi est Jupiter, l'ordre, contre lequel les femmes se révoltent avec la séduction; la reine, Vénus; les fous et les servants, Mercure, avec leur ambiguïté sexuelle. Les cavaliers sont la violence. La violence des femmes est le mépris. Les tours, Saturne, sont les femmes qui cessent d'être amantes et qui deviennent mères, et la frustration des hommes qui n'ont plus part à l'éducation des enfants. Etienne Chatton était contant de travailler avec son gendre, un Corboz, musicien. Le spectacle a été un succès, la presse a moins aimé. Une expérience qui lui a donné les plus grandes satisfactions de sa vie. Il a failli tout perdre, il y avait un budget de 500000 francs.
00:42:57 – 00:44:54 (Séquence 31) : Selon Etienne Chatton, les sciences occultes sont les vraies sciences du XXIe siècle. Au XIXe siècle, l'électricité était aussi une science occulte. La voyance est étudiée à l'Université de Duke en Arizona. La géomancie était la science de la connaissance de la terre des Arabes. Le tarot est un canal ouvert depuis des siècles vers le ciel. Ces sciences ont été un appoint dans son métier mais aussi une ouverture au monde. Il craignait, après ses 50 ans, une vie sur une ligne droite vers l'EMS. Ces sciences lui ont apporté des connaissances sur le monde actuel. Par les gens qu'il reçoit, il a aussi réalisé la misère, la solitude humaine. Les sciences occultes lui ont appris la compassion : ne pas admirer seulement la réussite chez les autres mais aussi la manière dont certains réussissent à assumer un destin difficile. C'est sa façon d'aider les personnes.
00:45:11 – 00:46:06 (Séquence 32) : Etienne Chatton explique que, dans le blason de sa famille, il y a un bâton de magicien, une lune rouge, la folie, et une étoile noire, la mélancolie. Dans toutes les générations, il y a eu un sorcier, un extralucide. Il a été initié par un cousin. Sur ses quatre enfants, l'un a un don de guérisseur, un deuxième est voyant et pratique le tarot. Le but d'un destin, plus que dans la carrière, s'exprime dans les enfants. S'il pouvait choisir ses propres enfants, il voudrait les mêmes, parce qu'ils ont la force de lutter contre lui.
00:46:24 – 00:46:52 (Séquence 33) : Etienne Chatton parle de son dernier projet, un musée de la femme. Il explique que rien n'a changé dans le monde autant que la femme. Il a la charge de l'œuvre de Leza Lidow, créatrice de mythes. Elle a fait le mythe du féminisme à Los Angeles par une Sainte Cène pour femmes, qui a fait le mythe du clonage. Il aimerait exposer sur trois jardins en terrasse, tous les aspects de la femme, ses grandes mythologies. Pour les visiteurs de Gruyère, ce serait une ouverture fabuleuse. A côté de Giger, l'homme, il y aurait la femme.
00:47:11 – 00:47:21 (Séquence 34) : Générique de fin du Plans-Fixes consacré à Etienne Chatton et tourné à Fribourg le 1er octobre 2002.
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00:00:00 – 00:00:12 (Séquence 0) : Générique de début du Plans-Fixes consacré à Etienne Chatton et tourné à Fribourg le 1er octobre 2002. L'interlocutrice est Mousse Boulanger.
00:00:12 – 00:01:38 (Séquence 1) : Etienne Chatton présente une sculpture de sa collection, un minotaure. Il explique que c'est une statue qui le représente. Il est né le 26 avril, dans le signe du Taureau. Le Soleil est conjoint à Vénus, ce qui n'est pas un atout pour devenir un bon curé. Il est conjoint aussi à Mercure et à la Lune, donc c'est la puissance des émotions, ce qui est favorable à un collectionneur ou à un amateur d'art. Il collectionne peu parce que ses moyens sont limités. Il aime la peinture mais il s'attache plus à la sculpture. Elle est l'expression des vertus civiques sur les places publiques. Il s'intéresse à la manière dont on expose, sur une place publique, les symboles qui font la grandeur d'un pays.
00:01:39 – 00:01:50 (Séquence 2) : Générique de début du Plans-Fixes consacré à Etienne Chatton et tourné à Fribourg le 1er octobre 2002. L'interlocutrice est Mousse Boulanger.
00:01:51 – 00:02:55 (Séquence 3) : Etienne Chatton explique que la peinture et la sculpture ont été pour lui une passion de tout temps. A ses six ou sept ans, pendant la guerre, il modelait des restes de pâte que sa mère lui laissait quand elle préparait le pain. La liturgie, le baroque à l'église, le curé dans sa robe en dalmatique dorée l'impressionnaient et il rêvait de devenir curé. Sa troisième passion, la plus importante, a été la littérature. Le premier jour de l'école normale, Michel Corboz lui a passé une pièce en vers de Hernani : "Je suis une force qui va, je suis un ver de terre amoureux d'une étoile."
00:02:56 – 00:04:07 (Séquence 4) : L'interlocutrice précise que, dans sa famille, il n'y avait pas une voie ouverte sur les arts. Etienne Chatton explique qu'à la maison il y avait deux voies ouvertes : sur la sexualité par un livre de médecine vétérinaire et sur l'ésotérisme par un livre sur les miracles de Lourdes. Ses parents étaient des petits paysans relativement pauvres. Ils avaient sept enfants, dont il était l'aîné. Rien ne le prédisposait à devenir ce qu'il est aujourd'hui. Il pense qu'il serait devenu un mauvais domestique de campagne. Selon lui, ce sont les dieux qui l'ont guidé. Il n'a jamais su où il allait. Il dit qu'il y a des forces qui nous destinent, il faut les laisser s'exprimer.
00:04:08 – 00:05:33 (Séquence 5) : Pour Etienne Chatton, l'entrée à l'école secondaire a été un problème. Il avait 15 ans, alors que ses camarades en avaient 12. Une tante avait songé à l’inscrire dans une école spéciale pour retardés. Etienne Chatton a finalement réussi son entrée à l'école. Il explique que les fils de paysans n'allaient pas à l'école du premier mai jusqu'au premier novembre car ils travaillaient dans les champs. De ses 12 ans à 15 ans, il n'a jamais eu d'école en été et son orthographe est restée délicate jusqu'au brevet d'enseignement. Avec Michel Corboz, ils avaient mis sur pied un système de tricherie : Michel Corboz était fort en orthographe et lui en comptabilité. Malheureusement, ils ont été placés loin l'un de l'autre, mais les dieux l'ont à nouveau aidé.
00:05:35 – 00:06:27 (Séquence 6) : Etienne Chatton a directement enseigné après l'école normale, il avait besoin de gagner sa vie. Après l'école, il partait en train écouter les cours de littérature, d'histoire et d'histoire de l'art à l'Université de Fribourg.
00:06:30 – 00:07:37 (Séquence 7) : Etienne Chatton parle des cours d'histoire de l'art. Il a commencé avec un cours sur Charlemagne et la civilisation européenne. Jusque-là, il avait été cantonné dans une vision fribourgeoise et locale. Le cours a été une ouverture sur l'Europe. Il arrivait en retard aux cours mais il en était ébloui. L'Europe s'ouvrait dans ces cours, avec le christianisme, l'architecture, les grandes idées, la résurgence de la latinité. Les cours étaient en allemand. Il réalisait que l'histoire de l'art et de la civilisation l'intéressait avant tout.
00:07:40 – 00:08:43 (Séquence 8) : Etienne Chatton explique que, parallèlement à l'université, il a suivi des cours de chant au conservatoire. C'était le grand moment d'Eric Tappy. Il a eu la chance d'avoir Juliette Bise comme professeur, qui avait enseigné à Tappy aussi. Etienne Chatton avait une bonne voix, mais il n'était pas assez musicien, et surtout il avait commencé trop tard, à 20 ans. Néanmoins, il était fasciné par l'opéra. Il cite des paroles du Don Giovanni de Mozart: "Fin ch'han dal vino calda la testa". A l'école normale, il avait eu des cours de piano et d’orgue mais le chant et la présence scénique l'intéressaient davantage. Avec Jo Baeriswyl, ancien directeur des Compagnons de Romandie, il avait joué Scapin dans "Les fourberies de Scapin".
00:08:47 – 00:10:38 (Séquence 9) : Etienne Chatton explique que les dieux l'ont guidé dans son choix. Il avait trois perspectives. Il était professeur de didactique et il aurait pu obtenir un poste à l'université. L'histoire de l'art était précieuse, elle permettait par exemple d'illustrer les fables de Lafontaine par les tableaux de Versailles. Il ne pense pas qu'il aurait pu faire une carrière de chanteur. Un professeur lui avait conseillé de devenir conservateur des Monuments historiques du canton de Fribourg : s'il n’en avait pas les qualités, il en avait du moins les défauts. Il était un "samurai", il adorait la bagarre, il ne craignait pas les coups, il avait le caractère idéal pour ce type de poste. Il aimait le patrimoine historique qui, selon lui, incarne la force d'un peuple. Ce professeur lui avait conseillé de faire une année à l'Ecole polytechnique de Zurich et ensuite une année en France. Marcel Strub a essayé de le détourner de ce projet en lui proposant un poste dans le musée qu'il dirigeait. Il a choisi de devenir conservateur.
00:10:42 – 00:11:18 (Séquence 10) : Etienne Chatton explique qu'il a commencé un doctorat en histoire de l'art. Son thème était mal choisi : les apports de la famille Englisberg du XIIe jusqu'au XVIe siècle. Il lui aurait fallu plus de connaissances en histoire de paléographie car il était confronté à des textes en allemand, en vieux français et en latin. Il a rédigé une thèse tout en travaillant à côté. Sa thèse lui a permis de se plonger complètement dans l'histoire de l'art fribourgeoise.
00:11:23 – 00:14:01 (Séquence 11) : Etienne Chatton parle de son intérêt pour le folklore. Il avait été invité en Sicile pour la fête des amandiers en fleurs, avec un groupe folklorique fribourgeois. Il a ensuite fondé la "Villanelle", un groupe de chant. Ses leçons avec Juliette Bise l'ont aidé à travailler les voix. Ses rapports avec César Joffrey et la France lui ont ouvert un autre répertoire. Mais il a vite réalisé que le folklore n'avait pas d'issue. Le canton de Fribourg a vécu sous la coupe de l'Eglise. Le seul instrument permis était l'orgue, le bal était pourchassé. Aucune autre civilisation, en dehors de l'Eglise, n'avait pu éclore. Ils jouaient des valses et des polkas de Suisse allemande mais c'était dérisoire. La seule chance du folklore était dans les costumes, bien que la beauté n'ait jamais été une valeur. Les femmes devaient être pieuses, les hommes forts. Il est fasciné par le folklore de l'Est, les bals et la musique influencés par les Tziganes. La polka ne l'a pas intéressé.
00:14:06 – 00:14:32 (Séquence 12) : Etienne Chatton parle de l'art religieux dans le canton de Fribourg. L'art religieux est somptueux surtout dans la statuaire, moins dans la peinture. D'autres formes de civilisation ont été étouffées par la religion. La pauvreté n'expliquerait pas cette absence d'autres arts, car des pays encore plus pauvres ont le goût de l'amusement.
00:14:38 – 00:16:07 (Séquence 13) : Etienne Chatton s'était promis de ne pas rester dans l'enseignement primaire. Il avait donné son congé à l'école avant d'obtenir son brevet pour le secondaire. Durant les étés de ses études, il n'avait pas pu beaucoup étudier car il a fait carrière militaire. Il n'a pas retrouvé un poste après ses études et son congé. Il lui a été offert de fonder une école à Evolène. Il était content parce que c'était une autre civilisation. Il dit venir d'une civilisation influencée par la Germanie. A Evolène, il y avait une civilisation curieuse. Il y avait un reste de civilisation de Bédouins, des Eurasiens et une civilisation alpestre dirigée par l'Eglise, plus encore que le canton de Fribourg. Son successeur à l'école a dû partir parce que l'école se voulait catholique.
00:16:14 – 00:17:14 (Séquence 14) : Etienne Chatton parle de son séjour à Evolène, une expérience superbe. Les personnes étaient très subtiles et raffinées selon lui. Le seul problème est que les habitants attendaient tout de l'école secondaire. Ils parlaient patois et pendant six mois par an ils vivaient dans les alpages. En deux ans, ils espéraient obtenir un poste de fonctionnaire à l'Etat du Valais. Il était impossible qu'ils rivalisent avec des gens qui avaient eu une scolarité normale et qui parlaient français. Etienne Chatton était effrayé par l'espoir, les attentes que les gens mettaient en lui et auxquels il ne pouvait pas répondre. Quelques élèves ont cependant pu aller à l'école normale.
00:17:21 – 00:18:44 (Séquence 15) : Etienne Chatton a enseigné pendant sept ans à l'école secondaire de Fribourg, parallèlement il a rédigé son doctorat. Grâce à de bonnes relations qu'il avait à Paris, il a pu aller un mois au laboratoire du Louvre. Il avait accès aux techniques d'analyse des tableaux les plus raffinées et sophistiquées. Il a été ensuite affecté aux Monuments historiques français. Il était adjoint de l'inspecteur général, qui avait en charge Versailles, Fontainebleau, et tous les châteaux de la Loire. Etienne Chatton a sillonné toute la France. L'inspecteur était descendant de banquiers de Louis XV. Etienne Chatton était fils de paysans avec des valeurs campagnardes fribourgeoises. Il découvrait un autre monde.
00:18:52 – 00:20:33 (Séquence 16) : Etienne Chatton parle des endroits qu'il a visités en France comme adjoint aux monuments historiques. Les grandes églises romanes, Tournus. Il a appris à Fontainebleau comment on ordonnait un château. Le château de Fontainebleau a 200 pièces. Chacune devait avoir un caractère, une couleur. Il a pu pénétrer dans le monde de la grande manufacture, des restaurateurs de tableaux, de statues, de bronzes et les orfèvres. Aussi, il a pénétré dans l'art d'analyser une pièce. Etienne Chatton explique que l'examen pour entrer aux Monuments historiques français portait sur un calice bricolé par des éléments de différents âges. Son directeur lui a montré comment analyser cette pièce. Aussi, il l'a suivi aux ventes aux enchères où il usait d'un droit de préemption. Il explique que les dieux encore une fois lui ont montré le chemin. L'interlocutrice lui demande si c'est à ce moment qu'il a eu envie de devenir châtelain. Il répond affirmativement mais ajoute que pour pouvoir le réaliser il lui aurait fallu aussi appartenir à la descendance d'un banquier de Louis XV.
00:20:42 – 00:22:37 (Séquence 17) : De retour de France, Etienne Chatton a occupé le poste de conservateur des monuments historiques à Fribourg. Ce n'était pas un poste pour diplomate mais pour "samurai". Lors de la première séance, il était question d'une nouvelle église à Villarepos, projet qui visait à démolir la précédente, du XVIIIe siècle, avec des fresques de Locher au plafond. L'architecte cantonal ne voulait pas entrer en matière, il était décidé à la détruire. Etienne Chatton se trouvait sans soutien des institutions de sauvegarde qui l'identifiaient à l'Etat. Il rétorqua aux conseillers d'Etat que l'histoire aurait fait un scandale. Ils l'ont menacé de le mettre à la porte. Il explique que plusieurs curés croyaient ne pas pouvoir entrer au paradis sans avoir construit une église, mais comme il y en avait déjà partout, souvent il fallait détruire la précédente. La commission des monuments historiques était exemplaire. Représentants de l'Etat et historiens de l'art étaient conscients du patrimoine à sauvegarder.
00:22:46 – 00:24:07 (Séquence 18) : Etienne Chatton explique qu'avec le concile de Vatican II, il y a eu un mouvement iconoclaste. Dans la commission d'art sacré, il cite le cas d'un Monsieur qui voulait tout faire disparaître. Il voulait avoir des églises cisterciennes. Il se plaignait aussi que les tableaux qui avaient été enlevés de la cathédrale n'aient pas brûlé dans un incendie. Le peuple était attaché à ce patrimoine. Etienne Chatton pense avoir évité, avec la commission du patrimoine, les problèmes d'intégrisme. L'Eglise d'Econe n'a pas pu s'implanter, malgré l'autorisation. A Fribourg, ils ont évité des conflits comme en Valais car l'Etat s'est chargé de la défense du patrimoine religieux, qui se transformait en patrimoine du peuple, de la patrie. Sans cela le sentiment de la patrie risquait de se perdre.
00:24:17 – 00:25:13 (Séquence 19) : L'interlocutrice rappelle qu'Etienne Chatton a restauré une soixantaine d'églises et mis des vitraux contemporains qui ont provoqué des controverses. Etienne Chatton explique qu'il a pu bénéficier d'un nouveau climat. L'Eglise avait appliqué une taxe et il y avait de l'argent pour la restauration. Etienne Chatton a cru, à tort, que la société entrait dans une période de désaffection religieuse et qu'il fallait restaurer toutes les églises. Il sait qu’il s’est trompé, car les paroisses ont repris le rôle culturel de l'Etat. L’esprit communautaire s'est créé en partie à travers le monument.
00:25:23 – 00:26:39 (Séquence 20) : Etienne Chatton a dû établir pour les vitraux un rapport sur l'état de la création dans le canton de Fribourg. Il explique que leur création était confiée à deux ou trois artistes bien vus par des curés. Etienne Chatton considérait qu’il fallait faire comme Jeanne Bueche dans le Jura, une politique de création : ne pas donner des subsides pour la restauration sans exiger une création afin que le patrimoine ne soit pas toujours un bilan négatif. Etienne Chatton a eu la chance d'entrer en contact avec de grands artistes français délaissés dans leur pays, Manessier, Bazaine, Castro, Anselmo. Une douzaine de conservateurs des monuments historiques français sont venus visiter les œuvres de Manessier à la Cathédrale de Fribourg. Jacques Dupont, président, a regretté qu'un tel chef-d'œuvre ne soit pas en France, qu'ils n'aient pas su le commander. La pratique voulait qu'on ne s'adresse plus aux artistes mais aux artisans verriers.
00:26:50 – 00:28:08 (Séquence 21) : Etienne Chatton explique que, dans un colloque international de l'UNESCO sur les créations contemporaines dans les ensembles anciens, étaient citées, sur une douzaine d'exemples, cinq œuvres fribourgeoises. Une consécration ignorée dans le canton de Fribourg. Les vitraux de la Glâne sont devenus patrimoine. Personne ne connaît les combats qu'il a fallu pour les imposer. La Presse, "La Liberté", n'en a pas parlé. Etienne Chatton a été attaqué, des lettres ont été publiées dans les journaux et on lui reprochait son travail dans la chapelle du Saint-Sépulcre. Elle fait partie aujourd'hui des grandes créations de l'art sacré.
00:28:19 – 00:29:03 (Séquence 22) : Etienne Chatton a écrit un livre, avec l'Imprimerie Fragnière et Loisirs et Pédagogie : "Les nouveaux signes du sacré". Il fallait prouver, surtout à Romont près du Musée du vitrail, que l'Eglise et ses doctrines pouvaient encore influencer de grandes œuvres. Il explique que les dieux parlent et qu'il faut se taire au bon moment. Etienne Chatton cite différents artistes : Castro à Romont, Manessier à la Cathédrale, Bazaine à Berlens, Anselmo à l'église de Grangettes, Charles Cottet à Ursy, Buri à Mézières.
00:29:15 – 00:29:56 (Séquence 23) : L'interlocutrice demande à Etienne Chatton de définir l'art sacré contemporain. Il explique que les artistes qui parlent des forces d'en haut ou d'en bas sont intéressants. Selon lui, les artistes qu'il a cités ont un don prophétique. Dans leurs œuvres, ils annoncent quelque chose de nouveau. Il cite la "Pentecôte" à la Cathédrale, le vitrail du Saint-Sépulcre, "La nuit tombante" d'après le poème de Peguy, où le sang du Christ irrigue la terre. Le grand prophète à Romont est l'ouverture au nouvel art sacré du XXIe siècle.
00:30:09 – 00:30:48 (Séquence 24) : Etienne Chatton parle de sa carrière et de son passage du poste de conservateur des Monuments historiques à la Bibliothèque cantonale. Il estime que 20 années de pouvoir étaient suffisantes, il avait l'impression d'entrer dans une forme de vieillesse. Il a laissé la place à des forces plus jeunes, dynamiques et combatives, bien qu'il y ait eu après lui des diplomates et non pas des guerriers.
00:31:01 – 00:33:03 (Séquence 25) : Etienne Chatton dit avoir eu une chance énorme à la Bibliothèque cantonale. Il était très lié aux musiciens, Pierre Kaelin, Bernard Chenaux, Oscar Moret, Georges Aeby. Selon lui, un bon conservateur est un escroc, un mauvais produit des fiches. Il a donc "arraché" tous les manuscrits de ces artistes et les a déposés à la bibliothèque, dans le patrimoine public. Il a ensuite fait un catalogue raisonné de chacune des œuvres, qu'il a ensuite publié. Après l'affaire des vitraux, il pensait que sa carrière était finie. LSi, dans le canton, il n'y avait pas de tradition iconographique, il y avait une formidable tradition musicale. Il aurait aimé s'occuper des jeunes musiciens en organisant chaque année un concert à la Bibliothèque. Après dix ans et douze livres, il est parti à la retraite.
00:33:16 – 00:34:22 (Séquence 26) : Etienne Chatton parle de son travail comme conservateur au Château de Gruyère. C'était un musée statique et il avait envie de le rendre plus dynamique. Après avoir consulté plusieurs personnes, dont René Berger, il a fondé le Centre international de l'art fantastique. Un créneau libre en Europe et qui avait deux points d'appui : la Maison d'Ailleurs à Yverdon, qui travaillait sur la science-fiction, et le Musée de l'Art brut à Lausanne, qui travaillait sur l'art des fous, sur le délire. L'art fantastique est au confluent de ces deux courants mais surtout au confluent de l'art sacré. Sur un plan profane, il rejoignait ce qu'il avait fait avec le vitrail.
00:34:36 – 00:36:10 (Séquence 27) : Etienne Chatton explique que le Château de Gruyère est visité par 150000 personnes par année, dont très peu de Fribourgeois. La mentalité fribourgeoise n'est pas ouverte à l'art fantastique : le sacré, la sorcellerie, le sexe et les sciences occultes. Il a dû faire appel à des artistes du monde entier. Les pays de l'Est ont été très accueillants. Il explique que les écoles d'art de ces pays, à la différence des Suisses, apprenaient un métier, les étudiants étaient donc aptes à s'exprimer. Il a eu le privilège de rencontrer [ Aparine ], [ Siomash ], [ Durovic ], [ Ulargic ]. Il a rencontré les meilleurs sculpteurs italiens : Inglesi de Sienne, Severino de Milan, Fontanella, à qui 20 ans auparavant il avait confié la création de quatre bas-relief sur les mystères douloureux dans l'Eglise d'Estavayer-le-Gibloux, et qui a environ 800 collectionneurs en Suisse romande. Des artistes qu'il expose maintenant à La Roche-sur-Foron, en France.
00:36:25 – 00:37:54 (Séquence 28) : Etienne Chatton explique que lorsqu'il a appris que les œuvres qu'il avait acquises pour le Château de Gruyère, une soixantaine, étaient destinées à un dépôt, il s'est appliqué pour les exposer en Italie. Le professeur Janus disait que ces oeuvres étaient le fondement du musée du XXIe siècle. Il avait deux objectifs : attirer l'attention de l'Italie sur l'art fantastique, mais surtout garantir la permanence de ces oeuvres. Les Italiens, en échange du transport des oeuvres à Piombino et Sienne, lui ont offert le catalogue. Les œuvres ne pourront plus être vendues et leur existence ne pourra plus être niée. Elles existent dans la conscience internationale. Il explique que les Fribourgeois n'ont pas pour l'art contemporain l'ouverture dont ils avaient fait preuve par le passé grâce à l'Eglise. En effet, après le concile de Trente, Fribourg a reçu les meilleurs artistes d'Allemagne et de Bourgogne qui ont créé le Saint-Sépulcre à Fribourg.
00:38:09 – 00:38:22 (Séquence 29) : Etienne Chatton parle de Leza Lidow, une artiste de la côte Ouest des Etats-Unis. Elle avait fait une œuvre sur le combat des sexes. C'était la seule à exprimer les mythes contemporains, les mythes de changement de civilisation. Etienne Chatton était fier de l'exposer en Italie.
00:38:38 – 00:42:40 (Séquence 30) : Etienne Chatton parle d'un opéra rock. Leza Lidow lui en a donné l'idée. Depuis longtemps, il avait envie d'écrire sur les échecs. La symbolique guerrière du jeu a trouvé une nouvelle interprétation, grâce à Leza Lidow, avec le combat entre hommes et femmes : les femmes en rouge et les hommes en bleu; les filles-fleurs et les garçons-obusiers. Etienne Chatton a choisi une autre solution : l'astrologie. Pour chaque personnage du jeu d'échecs, il y a un dieu et une tendance humaine. Il explique que rien n'a changé autant que les relations entre hommes et femmes. Dans l'introduction, il parle de l'archéologie de l'amour, le matriarcat et le patriarcat. Ensuite, il passe au jeu d'échec: le roi est Jupiter, l'ordre, contre lequel les femmes se révoltent avec la séduction; la reine, Vénus; les fous et les servants, Mercure, avec leur ambiguïté sexuelle. Les cavaliers sont la violence. La violence des femmes est le mépris. Les tours, Saturne, sont les femmes qui cessent d'être amantes et qui deviennent mères, et la frustration des hommes qui n'ont plus part à l'éducation des enfants. Etienne Chatton était contant de travailler avec son gendre, un Corboz, musicien. Le spectacle a été un succès, la presse a moins aimé. Une expérience qui lui a donné les plus grandes satisfactions de sa vie. Il a failli tout perdre, il y avait un budget de 500000 francs.
00:42:57 – 00:44:54 (Séquence 31) : Selon Etienne Chatton, les sciences occultes sont les vraies sciences du XXIe siècle. Au XIXe siècle, l'électricité était aussi une science occulte. La voyance est étudiée à l'Université de Duke en Arizona. La géomancie était la science de la connaissance de la terre des Arabes. Le tarot est un canal ouvert depuis des siècles vers le ciel. Ces sciences ont été un appoint dans son métier mais aussi une ouverture au monde. Il craignait, après ses 50 ans, une vie sur une ligne droite vers l'EMS. Ces sciences lui ont apporté des connaissances sur le monde actuel. Par les gens qu'il reçoit, il a aussi réalisé la misère, la solitude humaine. Les sciences occultes lui ont appris la compassion : ne pas admirer seulement la réussite chez les autres mais aussi la manière dont certains réussissent à assumer un destin difficile. C'est sa façon d'aider les personnes.
00:45:11 – 00:46:06 (Séquence 32) : Etienne Chatton explique que, dans le blason de sa famille, il y a un bâton de magicien, une lune rouge, la folie, et une étoile noire, la mélancolie. Dans toutes les générations, il y a eu un sorcier, un extralucide. Il a été initié par un cousin. Sur ses quatre enfants, l'un a un don de guérisseur, un deuxième est voyant et pratique le tarot. Le but d'un destin, plus que dans la carrière, s'exprime dans les enfants. S'il pouvait choisir ses propres enfants, il voudrait les mêmes, parce qu'ils ont la force de lutter contre lui.
00:46:24 – 00:46:52 (Séquence 33) : Etienne Chatton parle de son dernier projet, un musée de la femme. Il explique que rien n'a changé dans le monde autant que la femme. Il a la charge de l'œuvre de Leza Lidow, créatrice de mythes. Elle a fait le mythe du féminisme à Los Angeles par une Sainte Cène pour femmes, qui a fait le mythe du clonage. Il aimerait exposer sur trois jardins en terrasse, tous les aspects de la femme, ses grandes mythologies. Pour les visiteurs de Gruyère, ce serait une ouverture fabuleuse. A côté de Giger, l'homme, il y aurait la femme.
00:47:11 – 00:47:21 (Séquence 34) : Générique de fin du Plans-Fixes consacré à Etienne Chatton et tourné à Fribourg le 1er octobre 2002.
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