Jean Starobinski (Critique et écrivain)

  • français
  • 1986-11-12
  • Durata: 00:50:29

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Descrizione

Né en 1920 à Genève, Jean Starobinski mène conjointement des études de médecine et de lettres. Il nous fait entrevoir ici la complexité et l'étendue de la recherche critique, il ouvre devant nous le vaste champ de l'analyse, celle des idées, de leur histoire, des œoeuvres littéraires et picturales, des grands courants de pensée. Interrogation du paysage culturel, des oeœuvres, des textes et des pensées des hommes, tentative de les déchiffrer, cette démarche est animée par "le besoin de trouver quelque chose qui fasse sens".

00:00:00 – 00:00:10 (Séquence 0) : Générique de début du Plans-Fixes consacré à Jean Starobinski, critique et écrivain, et tourné à Genève le 12 novembre 1986. L'interlocuteur est Florian Rodari.
00:00:10 – 00:02:54 (Séquence 1) : Florian Rodari retrace succinctement le parcours universitaire de Jean Starobinski. Il a enseigné à l'Université de Genève pendant presque 25 ans, il a prononcé de nombreuses conférences à travers l'Europe et publié un grand nombre d’ouvrages sur des auteurs comme Montesquieu, Rousseau, Diderot ou sur des thèmes tels que le rococo, le masque ou la mélancolie. L'interlocuteur invite Jean Starobinski à parler de l'origine de son intérêt pour la littérature, tandis qu’il suivait des études de médecine. Jean Starobinski rappelle brièvement son cursus scolaire. Il a été un élève de la "Maison des petits", fondée par Claparède, et a suivi les cours au Collège de Genève. Jean Starobinski a été marqué par certains de ses maîtres comme Edmond Beaujon ou Bouchardy, et des figures telles que Marcel Raymond et Victor Martin. Il parle ensuite d’une série d’événements comme la guerre de 1939 qui ont influencé ses choix de carrière. La culture dans son ensemble (la voix des poètes et les livres) est apparue comme un aspect essentiel que la guerre menaçait, en même temps qu’elle se présentait comme un "recours", et qu’elle figurait ce qui résistait face à cette tragédie.
00:02:54 – 00:04:57 (Séquence 2) : Jean Starobinski évoque les premiers travaux qu'il a écrits, notamment ceux qu'il aurait rêvé de traiter. Il donne l'exemple d'une conférence à la Société des Nations à laquelle il a assisté l'année avant la guerre et sur laquelle il aurait aimé publier un billet dans la "Nouvelle revue française", NRF. La première critique de Jean Starobinski est parue dans la revue la "Suisse contemporaine" dirigée par Bovard. Elle traitait de la publication "Porche à la Nuit des Saints" de Pierre Jean Jouve, réfugié à Genève. Pour Jean Starobinski, la rencontre avec l'œuvre de ce poète a été importante et a remplacé sa passion pour Valéry.
00:04:57 – 00:07:07 (Séquence 3) : L’interlocuteur demande à Starobinski de décrire de quelle manière il a conduit parallèlement ses études en Lettres et en Médecine. Une fois licencié ès Lettres, Jean Starobinski s’est engagé dans la voie des études en médecine. Pour lui, les deux branches se juxtaposaient sans difficulté : alors qu'il suivait des cours de médecine, il traduisait des textes de Kafka, publiés plus tard en 1944, écrivait des chroniques de poésie dans la "Suisse contemporaine" et formait des projets de livres sur le masque. Il a continué sans interruption ses études de médecine jusqu'au doctorat et a exercé en tant qu'interne-assistant d’abord à l’hôpital de Genève puis à hôpital psychiatrique de Cery. Pour Jean Starobinski, la compréhension du monde contemporain dépend autant d'une approche objective empruntée à la science (méthode, discipline, rigueur, éthique, rationalité) que d'une expérience intérieure.
00:07:08 – 00:09:45 (Séquence 4) : L’interlocuteur interroge Jean Starobinski sur les points communs éventuels qui existent entre le travail littéraire et l’activité médicale. Starobinski pense que, autant dans l'étude des textes, on est confronté à des éléments objectifs (travail scientifique, approche philologique) et subjectifs (secret et intention du texte), autant dans l’activité médicale retrouve-t-on de tels aspects d’objectivité (recherche des mécanismes du mal) et de subjectivité (considération du patient en tant qu’être humain, relation intime). Pour Jean Starobinski, les techniques scientifiques étudiées en médecine ont été d'une grande importance pour son travail littéraire. On ne peut donc pas faire l’économie de la science, menacée par des dérives irrationalistes et obscurantistes, mais primordiale pour atteindre une certaine face des choses qui comportent aussi un versant plus intime.
00:09:46 – 00:12:56 (Séquence 5) : Jean Starobinski est invité à préciser la notion de critique littéraire. Il se décrit comme un historien, un philosophe et un critique. Jean Starobinski développe ensuite sa conception de l'activité critique. Bien qu'il estime que celle-ci, de type jugeant et appliquant des normes, soit nécessaire pour opérer une sélection de textes et de livres à faire paraître, il ne la pratique pas avec la notion de sanction ou de jugement, mais dans l'idée de déchiffrer le sens du texte. Le même mouvement l’anime quand il veut détailler des œuvres issues d’autres domaines artistiques ou culturels. Le recul est aussi indispensable pour saisir l’esprit d’une époque.
00:12:58 – 00:14:35 (Séquence 6) : Jean Starobinski explique sa manière d'approcher les textes. Il n'applique pas une méthode prédéfinie. Il se maintient dans un état "d’attention flottante" à l’instar de psychanalystes qui écoutent la personne analysée. Lorsqu’un élément a attiré son attention, il essaie d’appliquer la méthode la plus précise et appropriée aux textes. Il donne l'exemple de sa façon d’aborder un poème. Dans le travail critique, il existe une phase technique nécessitant l’emploi d’instruments spécifiques, suivi d’une phase interprétative dans laquelle Jean Starobinski cherche à transcrire le sens du texte tel qu'il lui est apparu en un langage limpide et vibrant, pour donner du plaisir au lecteur.
00:14:37 – 00:16:45 (Séquence 7) : L'interlocuteur parle du style d'écriture de Jean Starobinski et évoque l'une des critiques portant sur un écrit de Diderot. Il suppose que Jean Starobinski est tenté d’aborder des sujets qui peuvent séduire. Ce dernier reconnaît avoir emprunté son approche aux historiens de l'art de l'Institut Warburg qui affirmait que "le bon Dieu se cache dans les détails". Jean Starobinski souligne qu'il est nécessaire de trouver le détail qui se manifeste autant en philologie qu'en histoire de l'art puis de regarder ce qui s'organise autour de cet élément et ce qui va former progressivement un tout. L’indice doit figurer le point de départ d’une enquête et d’une contemplation de la totalité.
00:16:47 – 00:19:48 (Séquence 8) : Jean Starobinski est interrogé sur son attirance pour la notion d'énigme et sa fascination du caché. Il précise qu'il n'est pas uniquement intéressé par ce qui est caché mais davantage par le sens. Il ne prétend pas saisir une vérité ou cerner l’insondable, mais bien plus à transcrire la vérité d’une rencontre avec cette œuvre. Il s'est intéressé à la thématique du masqué ou du caché dans l'œuvre de Rousseau ou de Montaigne qui dénonce le caractère trompeur des apparences. En réalité, au bout de la recherche, on découvre que tout est donné dans les apparences dont on peut se fier. Il a développé des travaux autour de cette notion qu'il a retrouvée notamment en poésie, chez Jaccottet par exemple.
00:19:51 – 00:25:12 (Séquence 9) : L’interlocuteur interroge Jean Starobinski sur la notion du caché et de l'énigme. Jean Starobinski précise les causes qui l'ont amené à s'interroger sur les masques : ceux-ci représentent dans l’enfance des figures d’épouvante ou des revenants. D’un autre côté, le déguisement génère un sentiment d’euphorie, entre autres lors de bals masqués, permettant de nous affranchir pour quelques instants de notre identité continue dont nous sommes parfois fatigués. D’après lui, le masque est composé de deux pôles, la terreur et la liberté. Ceci l’a amené à s’interroger sur les triomphes des grandes idoles des temps modernes tels que les totalitarismes, porteurs et inventeurs de masques. A l’image du travail de Denis de Rougemont sur l'amour, son ambition initiale était d’œuvrer à une grande histoire du masque (son apparence, son illusion, la séduction facile qu’il exerce à travers les publicités par exemple), mais également aux mythes de descentes aux enfers, lieux profonds et cachés. Jean Starobinski a été amené à recentrer son projet et a choisi de traiter des ennemis des masques dans la littérature française : Montaigne, La Rochefoucauld, Rousseau, Stendhal, Valéry ou Gide. Les études sur ces auteurs ont débouché sur la publication de plusieurs livres séparés.
00:25:15 – 00:30:05 (Séquence 10) : La mélancolie constitue l'un des thèmes de recherche de Jean Starobinski, car le porteur ou le dénonciateur de masque est un mélancolique. En ce qui concerne l’art rococo du XVIIIe siècle qu’il évoque dans son monologue, il a été frappé par le "privilège de l'instant" mis en avant pendant les fêtes et auquel était lié le plaisir mais qui pouvait par ailleurs aussi être suivi d’une chute dans l’ennui. D’où la nécessité de faire renouveler perpétuellement cet instant pour que le plaisir ne quitte pas la scène. A cet état voluptueux s’associait tout un "art de la façade", celle des châteaux, occultant aux yeux de l’observateur extérieur toute une vie séparée, réservée et composée de privilèges. Par ailleurs, le dénonciateur des masques, celui qui dans la fête extérieure perçoit le triomphe de la vanité, joue aussi la figure du mélancolique, à l’instar du personnage de Jacques dans la pièce de théâtre de Shakespeare : "As you like it", ("Comme il vous plaira"). Cette considération l’a conduit à une recherche sur ce thème, relative entre autres à des autoportraits d'artistes du XIXe siècle qui se transforment en saltimbanques comme c'est le cas de Baudelaire. Jean Starobinski décrit le mélancolique comme une personne qui a connu auparavant son antithèse, soit l'exaltation maniaque, dont il emprunte l'expression à Binswanger, "la fête maniaque". Jean Starobinski s'est livré à un déchiffrement de textes sur ce thème, notamment par la lecture du traité de psychologie de Burton, "Anatomie de la mélancolie".
00:30:09 – 00:33:51 (Séquence 11) : L’interlocuteur compare la démarche de Jean Starobinski à celle d’un philosophe. Jean Starobinski affirme que son approche, qui cherche à concilier le subjectif à l’objectif, rejoint celle du philosophe, pourtant il ne se considère pas comme tel. Il explique le rôle de la philosophie dans ses démarches de recherches et réflexions, en tant que régulatrice de son activité et support à questions. Pour expliciter cette idée, Jean Starobinski tire un exemple thématique de son activité : l’ironie, préconisée comme le remède à la mélancolie par les romantiques et présente chez Hoffman, qui permet de se détacher et de s’affirmer libre du spectacle. Or, le philosophe se demande si un esprit détaché du monde peut encore s’inscrire dans un moi substantiel et tangible, ou s’il s’évanouit dans le néant. L’ironie, au lieu de s’offrir comme une solution à la mélancolie, ne constitue-t-elle pas une dernière étape avant la négation de soi, à force de nier le monde ? Ainsi, par cette illustration, Starobinski corrobore l’idée selon laquelle la philosophie peut parfois conforter les questions qu’il pose à la littérature. L’interviewé est par ailleurs reconnaissant envers les philosophes Eric Weil, Merleau-Ponty, Jean Wahl et Bachelard. Jean Starobinski fait également référence à Kierkegaard soulevant la question de l’ironie, source d’inspiration de sa réflexion dans sa correspondance avec Pierre Emmanuel.
00:33:56 – 00:35:19 (Séquence 12) : L’interlocuteur note que les réflexions posées par Jean Starobinski sur des œuvres anciennes entrent en résonnance avec des sujets actuels. Sa pratique de la pensée a pu être mise en acte à travers des Rencontres internationales de Genève qu'il a présidées. Starobinski cite des philosophes qu’il y a croisés tels que Denis de Rougemont, Jean Wahl, Jeanne Hersch et Georges Poulet. Jean Starobinski a pu se rendre, par l'intermédiaire de Jean Wahl et comme participant, au Collège de philosophie de Paris et aux Rencontres de Royaumont sur la philosophie. Jean Starobinski est reconnaissant envers Georges Poulet qui l'a emmené enseigner à l'Université Johns Hopkins à Baltimore.
00:35:24 – 00:38:17 (Séquence 13) : Jean Starobinski est invité à préciser l'importance de la psychanalyse dans son travail. Il souligne qu'elle y est entrée progressivement. Il l'a connue par le biais de la femme de Pierre Jean Jouve, Blanche Jouve, psychanalyste de profession. Il s'est penché sur l'expérience subjective par le travail de Georges Poulet. Il a ensuite emprunté à l'hôpital de Cery les œuvres de Freud pour se familiariser avec le champ de la psychanalyse. Il précise qu'il n'utilise pas systématiquement ce domaine comme un outil d'interprétation, mais un complément à ses recherches. Il cherche aussi à déchiffrer les procédés de la psychanalyse.
00:38:23 – 00:40:23 (Séquence 14) : L’interviewer souligne que Jean Starobinski applique certaines notions de la psychanalyse aux textes, notamment à ceux de Rousseau. Starobinski précise que la psychanalyse nous a procuré un vocabulaire pour parler, il le compare au langage des moralistes classiques. Freud a dit que les concepts existaient avant les débuts de la psychanalyse, ainsi par exemple dans "le Neveu de Rameau" le complexe d'Œdipe est énoncé même s'il n'est pas défini en ces termes. Jean Starobinski revient sur la manière dont Freud a défini la psychanalyse et en précise sa vision qui est pour lui autant fiction que science. C’est cette fiction qui lui apparaît comme un domaine intéressant à décrypter, en recourant à des instruments sortant du champ psychanalytique et, pourquoi pas, issus du registre philosophique.
00:40:29 – 00:42:38 (Séquence 15) : L’interlocuteur interroge Jean Starobinski sur ses passions : la musique et la peinture. Jean Starobinski explique les raisons pour lesquelles il aime regarder les images et ce que représente pour lui la musique. Il est lui-même pianiste mais, selon lui, au piètre talent. Il apprécie Debussy, Chopin et les compositeurs modernes. Il arrive à jouer du Scarlatti, du Bach, du Mozart ou du Haydn. Jean Starobinski trouve l'inspiration dans les phrasés des morceaux classiques.
00:42:45 – 00:44:28 (Séquence 16) : Jean Starobinski parle de la relation avec le lecteur, des étapes de l'écriture à respecter et du travail sur les textes. Il apprécie l'écriture musicale de Scarlatti et Haydn et les variations de Beethoven, Brahms ou encore les "Variations Goldberg" de Bach. Pour Jean Starobinski, les variations attestent une "inépuisable ressource de l'invention".
00:44:35 – 00:45:48 (Séquence 17) : Les thèmes que Jean Starobinski traite trouvent leur écho dans les images ou la musique. Ainsi dans ses recherches sur la mélancolie, il prend en compte l'élément musical. Il existe des musiques mettant en scène la mélancolie comme celles de John Dowland et des compositions qui l’effacent comme chez Purcell, ainsi que l'illustre l'histoire de David qui cherche à apaiser la mélancolie de Saül avec la musique de sa harpe.
00:45:55 – 00:49:43 (Séquence 18) : On demande à Jean Starobinski s'il éprouve quelques regrets par rapport à certaines voies de recherche qu’il n’a pu emprunter pour différentes raisons. Il regrette de ne pas avoir produit une seule œuvre au lieu de multiples textes qu'il compare à des ramifications. Il souhaiterait également savoir nommer les plantes, animaux et constellations et posséder un vocabulaire pour désigner certaines choses qui lui sont chères et qui ne le laisse pas muet. Toutefois, il précise que les regrets peuvent se changer en projet. Par exemple, il souhaiterait parler des musiques mettant en avant la mélancolie dans son livre sur ce thème, ou encore traiter de "l’expérience de la journée" telle qu’elle s’écoule, mise en scène à travers différents arts, en collaboration avec des musiciens ou des peintres. Le sujet de la "rêverie au bord du ruisseau" l’interpelle aussi, car il se manifeste de manière fréquente en musique et en poésie. Autre thématique apparaissant en littérature, "l’expérience du corps" constitue également un projet intéressant à étudier.
00:49:50 – 00:50:21 (Séquence 19) : Générique de fin du Plans-Fixes consacré à Jean Starobinski, critique et écrivain, et tourné à Genève le 12 novembre 1986.
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