Jacques Hainard (Ethnologue - Conservateur du Musée d'ethnographie de Neuchâtel)

  • francese
  • 1997-07-11
  • Durata: 00:49:48

Die unten dargestellten Filmaufnahmen werden Ihnen über Vimeo (https://vimeo.com/) zur Konsultation angeboten.

Descrizione

Pour Jacques Hainard, élève de Jean Gabus, admirateur de Claude Lévi-Strauss, de Flaubert et de Sartre, exposer, c'est raconter une histoire sur un thème choisi. Les objets que contient le musée servent à construire cette histoire. Au lieu de perpétuer le "musée-valium", qui ne nous parle que du patrimoine des autres, reliques qui nous rassurent, Jacques Hainard décide de faire du musée un lieu de déstabilisation culturelle qui remet en question nos savoirs et interroge le visiteur, tout en exaltant la liberté.

00:00:00 – 00:00:36 (Séquence 0) : Générique de début du Plans-Fixes consacré à Jacques Hainard, ethnologue, conservateur du Musée d'Ethnographie de Neuchâtel, et tourné à Peseux le 11 juillet 1997. L'interlocuteur est Jean-Philippe Rapp.
00:00:36 – 00:01:26 (Séquence 1) : Jacques Hainard se décrit lui-même comme un gestionnaire d'un stock de souvenirs, images, lieux et non-lieux. Si la plupart des gens ne savent pas quoi faire de ce stock et sont nostalgiques, lui s'en sert et le réactualise constamment, grâce à sa formation d'ethnologue, de scénographe et de conservateur de musée. C'est un confort dans lequel il vit quotidiennement.
00:01:26 – 00:02:48 (Séquence 2) : Jacques Hainard explique être né dans la vallée de la Brévine, dans le hameau des Prises, de la commune des Baillards. Il y a passé sa jeunesse et y a fait la connaissance d'un vrai lieu et d'un monde paysan pour la première fois. Il a commencé sa formation dans une école à tous degrés, ce qu'il trouve formidable. Il était très enthousiaste, notamment grâce aux institutrices valaisannes qui y enseignaient et faisaient la lecture pendant les après-midi de travaux manuels. C'est ainsi qu'il a connu ses premiers amours : "Le grand Meaulnes", qu'il connaît par cœur sans l’avoir lu.
00:02:49 – 00:05:00 (Séquence 3) : Jacques Hainard avait un père paysan, qui pensait que son fils reprendrait le domaine. Mais, très tôt, Jacques Hainard a pressenti que la campagne était une chose difficile et il voulait la quitter. Sa mère l'a soutenu dans ce désir car elle était très ouverte et l'a poussé à aller à l'école secondaire, puis à poursuivre des études, ce que le père a autorisé. C'est à cette période d'ailleurs que Jacques Hainard a commencé d'entrevoir des considérations de distinctions ou de regards sociaux. Sa mère l'ayant en effet envoyé à l'école avec des pantalons golf – dans les années 1950, où ils étaient une nouveauté – il s'est vu frappé et malmené par les autres élèves pour avoir trahi son milieu d'origine. C'est ainsi qu'il a commencé à comprendre les distinctions et classes sociales, ce qui s'est révélé un très bon apprentissage pour l'ethnologue qu'il est devenu, notamment grâce à sa mère qui l'y rendu attentif, alors que son père le poussait à rester dans le canevas. Par exemple, sa mère lui a fait faire du piano, quand son père avait tendance à refuser toute originalité. Jacques Hainard a donc appris à jouer et revenait chaque Noël pour exécuter des morceaux à quatre mains, dont "Les petits Chinois".
00:05:01 – 00:06:25 (Séquence 4) : Jacques Hainard évoque ses relations avec son père et son départ : finalement, il a pu admettre que son fils ne devienne pas agriculteur comme lui. Jacques Hainard n'était pas fait pour cette agriculture traditionnelle, bien qu'il ait été témoin du passage au tracteur et au congélateur, deux éléments qui ont révolutionné le domaine et permis aux paysans de devenir de petits entrepreneurs. Cela lui aurait peut-être permis à l'époque de prendre le relais de son père, comme il a pu voir des intellectuels le faire et revenir dans les fermes paternelles. A ce sujet, l'interlocuteur demande à Jacques Hainard s'il n’a jamais été tenté de faire figurer dans une exposition le tracteur ou le congélateur. Jacques Hainard répond y avoir pensé pour "Mars 2000", où on montrait comment tous les restes de la paysannerie étaient réutilisés aujourd'hui pour redécouvrir la société. La carte de la nostalgie est en effet de plus en plus présente, notamment dans le milieu marchand.
00:06:27 – 00:07:53 (Séquence 5) : Jacques Hainard évoque sa découverte et son goût de la lecture, notamment grâce à la bibliothèque familiale. Il faut savoir que les gens de la vallée de la Brévine lisaient volontiers. Quant à Jacques Hainard, il a lu, vers 12 ou 13 ans, "Thérèse Raquin", ainsi que Zola, comprenant avec ses œuvres, toute la distance entre la littérature enfantine et cette lecture nouvelle de la société. Il s'est alors mis à lire de manière systématique, notamment Tolstoï, Dostoïevski, car il en avait le temps et essayait toujours d'échapper aux travaux de la campagne. Jacques Hainard a eu accès à ces auteurs russes, à travers les abonnements de séries et de guildes du livres.
00:07:55 – 00:08:32 (Séquence 6) : Jacques Hainard répond à la question : un livre peut-il changer un destin ? Dans son cas précis, il a des souvenirs très forts de certaines lectures, comme Claude Lévi-Strauss, avec "Tristes tropiques", quand il dit haïr les voyages et les explorateurs alors qu'il est lui-même explorateur. Ce livre a marqué son existence intellectuelle.
00:08:35 – 00:09:33 (Séquence 7) : Jacques Hainard lit actuellement "La fascination du nazisme" de Peter Reichel. Les questions historiques comme ce sujet le fascinent car il pense que l'époque actuelle est particulière et qu'il convient de lire pour comprendre ce qu'il s'est passé avant elle, notamment concernant les tendances ayant permis le glissement vers la droite intellectuelle d'aujourd'hui. Cette frilosité et cette difficulté à accepter certaines vérités sont mieux combattues avec la réflexion apportée par les livres. Jacques Hainard précise d'ailleurs que la droite n'est pas sa famille politique.
00:09:37 – 00:12:29 (Séquence 8) : Jacques Hainard évoque les différents lieux qu'il a découverts au sortir de la vallée de la Brévine, dont notamment le gymnase de Fleurier et l'université. Il y a rencontré le maître de français Jean-Paul Humbert, qui l'a réellement initié à la lecture : Jacques Hainard a découvert un formidable pan de la littérature. Des conférences s'organisaient, notamment sur "Rêveuse bourgeoisie" de Pierre Drieu la Rochelle ou sur Louis Ferdinand Céline et "Voyage au bout de la nuit". Certains parents protestaient contre l'audace de ce professeur. Jacques Hainard a également découvert à cette époque Antonin Artaud, qu'il admire profondément : il fut son deuxième amour littéraire. "Madame Bovary" en fut un également : il l'a littéralement décortiqué au gymnase. Flaubert est un modèle qui l'inspire toujours autant, notamment en muséographie et scénographie. Jacques Hainard a également lu Sartre dans le cadre des cours de philosophie de Fleurier, dont l'ambiance intellectuelle étonnante à permis la formation d'une équipe d'amis, dont notamment le peintre de Bâle et New York, Pierre Raetz. Jacques Hainard et lui sont restés très proches et il écrit parfois sur la peinture de son ami, par ailleurs intéressé à l’ethnologie. Dans ce domaine, Jacques Hainard évoque d’ailleurs sa rencontre avec Jean-Claude Muller, un ethnologue confirmé, qui donnait des cours au gymnase de Fleurier et que Jacques Hainard a imité en choisissant cette orientation. Muller est aujourd'hui un théoricien très écouté et très lu ainsi qu'un professeur d'anthropologie à l'Université de Montréal. Il y avait, en ce Val-de-Travers, un noyau de personnes intéressantes qui ont marqué Jacques Hainard et qui le rendent fier de sa région.
00:12:33 – 00:13:24 (Séquence 9) : Jacques Hainard explique comment il en est venu à comprendre le monde et la notion de lieux, en passant de la notion de distinction à celle d'ouverture. Il explicite la différence entre lieux et non-lieux, ces derniers étant plutôt des aéroports ou des McDonald's. Il y a actuellement une sorte de confusion, due à tous ces non-lieux, et les gens ont besoin de se resituer par rapport à eux. C'est ce que Jacques Hainard a découvert progressivement, sans vraiment le découvrir, en accumulant des souvenirs et des acquis.
00:13:28 – 00:15:57 (Séquence 10) : Jacques Hainard évoque son entrée à l'université et son désir de devenir ethnologue. Pour lui, cela signifiait être quelqu'un allant chez les autres, soit hors d'Europe. Cette distinction était très forte dans les années 1960, époque où la sociologie traitait de la société industrielle et de l'écriture, là où les ethnologues s'occupaient de la société primitive et sans écriture, soit dans la tradition orale. L'ethnologue partait donc voir les autres et faisait des collections, perspective dans laquelle Jacques Hainard a commencé ses études à l'Université de Neuchâtel. Il y a eu pour maître Jean Gabus, dont la carrière a commencé chez les Esquimaux caribous, puis a débouché sur les Mauritaniens et la bande Sahélienne, soient les Touaregs. Jean Gabus a sensibilisé ses élèves à l'ethnologie, mais aussi à l'esthétique, notamment en muséographie, via la théâtralisation et la mise en scène des expositions d'ethnographie. Dans ces dernières, il y avait un souffle esthétique et sensuel très fort et non pas uniquement une juxtaposition d'objets. A l'époque, cette démarche dérangeait car on ne comprenait pas bien ses audaces et car Jean Gabus portait des regards particuliers, reconnus aujourd'hui comme modernes, voire postmodernes, sur la discipline. C'étaient en fait les prémisses de ce qui conduit les chercheurs actuels à mieux regarder la façon dont ils procèdent et dont ils forment leur discipline : une ethnographie de l'ethnographie, en somme.
00:16:01 – 00:18:05 (Séquence 11) : Jacques Hainard évoque Jean Rychner, un professeur de littérature et de vieux Français, ainsi qu'un linguiste renommé. Il enseignait François Villon, source de souvenirs formidables pour Jacques Hainard, car Jean Rychner était capable d'expliquer pendant cinq minutes l'importance de chaque tournure de vers tout en faisant des parallèles avec la musique contemporaine. Il faisait partie de ces professeurs faisant des allers et retours entre passé et présent, ainsi qu’entre diverses disciplines – un jeu auquel se livre Jacques Hainard aujourd'hui. Ce type d'expérience intellectuelle a marqué son parcours universitaire : au-delà de l'obsession actuelle d'être rentable, les étudiants comme les professeurs avaient le luxe de pouvoir philosopher, d'être très généralistes ou au contraire, très pointus, car personne ne doutait de trouver un emploi à la fin du cursus. Aujourd'hui, cette démarche a changé puisque les universitaires n'ont plus cette assurance-ci et que ce luxe intellectuel et économique a disparu.
00:18:10 – 00:19:53 (Séquence 12) : Jacques Hainard raconte avoir quitté Neuchâtel pour Bâle, où il a été engagé au Musée d'Ethnographie comme conservateur assistant. Il a ainsi pu rencontrer des personnages extraordinaires, comme le directeur de l'époque, Alfred Bühler, spécialiste de la Nouvelle-Guinée et des textiles. Jacques Hainard a dû faire un travail assez difficile, soit enregistrer l'inventaire des collections européennes. Il a donc beaucoup appris en allant dans les dépôts et en faisant un travail quasiment de bénédictin : il a alors vu les collections et réalisé les problèmes que cela posait. Décrire des objets est un exercice de haut niveau et de haute voltige : on entre véritablement dans ce qui fait la culture et le spécifique. Jacques Hainard pense qu'on devrait tous faire l'exercice un jour, pour apprendre beaucoup. Cette expérience bâloise a duré trois ans pour lui. Il n'a pas vraiment appris le suisse allemand ni le bâlois, mais ses collègues étaient suffisamment gentils pour lui parler en allemand.
00:19:58 – 00:21:48 (Séquence 13) : Jacques Hainard évoque sa rencontre avec l'artiste peintre Rémy Zaugg, à l'époque où ce dernier travaillait à des réflexions sur l'art et l'écriture. Ils ont décidé un jour de mettre en action leurs questionnements sur la critique d'art et la description des artefacts. Zaugg avait déjà fait une série de sérigraphies, dont une représentait notamment un parallélépipède rectangle troué, plongé dans l'espace. Ils ont décidé de décrire cet objet, une entreprise qui leur a pris deux ans. Ils n'ont pas clôt leur phrase de description car, ce faisant, ils auraient cassé l'objet et n'en auraient finalement décrit qu'une partie. A la fin de leur ouvrage de 300 pages, "Dedans dehors", ils ont pourtant clôt par "détermine un parallélépipède rectangle plongé dans l'espace". Cet exercice surréaliste a beaucoup appris à Jacques Hainard sur l'art et la critique et a débouché sur une exposition triomphale de Zaugg au Kunstmuseum. La sérigraphie de Zaugg a été exposée avec, dans une multitude de salles, les textes du livre : le scandale a été évité de peu. Pour Jacques Hainard, il s'agissait plutôt d'être pionnier dans une démarche nouvelle : dire avec des mots des objets construits avec des matériaux, soit relancer un vieux problème de la critique. Ce fut l'expérience bâloise de Jacques Hainard.
00:21:54 – 00:22:55 (Séquence 14) : Jacques Hainard parle de son caractère jubilatoire, son enthousiasme à faire les choses et à en rire. Il dit souffrir énormément d'être entouré de gens croyant posséder la vérité. Il n'est pas contre le fait de dire des choses, en étant scientifique mais il se sent toujours obligé de se tourner en dérision et de ne pas se prendre au sérieux car il a appris que l'ironie est la meilleure arme. Elle permet d'être un peu plus crédible, de relativiser les problèmes, de changer d'avis et de percevoir ce qui est essentiel dans tel ou tel domaine. Jacques Hainard est convaincu de la nécessité d'enseigner cela aux enfants, outre l'humour.
00:23:01 – 00:25:34 (Séquence 15) : Jacques Hainard évoque l'Afrique, un lieu qui compte beaucoup pour lui. Il a été formé de façon traditionnelle au métier d'ethnologue et souhaitait y aller. Après avoir inventorié des collections européennes, il a trouvé la possibilité de s'engager comme assistant technique pour enseigner dans une organisation humanitaire. Il s'est alors rendu au Congo-Kinshasa en 1971. Au bout de deux mois, le pays est devenu le Zaïre et Mobutu a décidé d'en extirper tous les relents de la colonisation belge. Le pays s'est trouvé débaptisé, des noms de lieux et de gens, aux habitudes vestimentaires. Jacques Hainard a enfin eu la chance d'avoir une leçon pratique de ce qu'est l'arbitraire et le pouvoir politique, dictatorial, sur un plan historique très large. Il se rappelle avoir vu la statue de Stanley balancée et dont seuls les pieds sont restés. Il a donc vécu pendant deux ans la zaïrianisation, volonté du président Mobutu à l'époque, et il a découvert dans son enseignement le racisme entre ethnies. Lorsqu'il donnait des cours d'esthétique africaine, par exemple sur les Lubas, il a pu voir ses étudiants lui tourner le dos pour manifester leur protestation face à l'évocation d'une ethnie méprisée.
00:25:41 – 00:26:49 (Séquence 16) : Jacques Hainard évoque l'Afrique coloniale, découverte en Angola, à l'époque colonie portugaise. Il allait à Luanda pour les vacances de Noël et raconte la façon dont les gens étaient escortés. L'expérience était particulière pour une personne venant de Suisse, pays n'ayant pas eu de colonies. Pour des gens, comme le premier conservateur du Musée d'ethnographie de Neuchâtel en 1910, le colonialisme était positivé. Même au Zaïre, certains pensaient que les Portugais réussiraient le métissage culturel et il est vrai qu'à Luanda, on voyait des Portugais servant de l'essence ou faisant la circulation tout comme les Noirs. Mais finalement l'échec a été consommé.
00:26:57 – 00:28:15 (Séquence 17) : Jacques Hainard évoque sa découverte de la violence corporelle en Ethiopie, où il a passé du temps et a eu l'occasion d'aller en Erythrée. Le front de libération était à Keren et on tirait au canon, ce qui a donné l'impression à Jacques Hainard d'être un général ou un explorateur. Un jour, dans un marché du sud de l'Ethiopie, à Gondar, Jacques Hainard a vu une punition publique : tout le monde est devenu silencieux soudainement et un homme a reçu 12 coups de fouet dans un sens, puis dans l'autre, le public rythmait les coups et regardait. Jacques Hainard explique que cette scène, bien que choquante, représente une manière de comprendre certaines sociétés, leurs normes et leur fonctionnement.
00:28:23 – 00:29:41 (Séquence 18) : Jacques Hainard évoque son retour d'Afrique. Etant en Ethiopie, il a reçu une lettre de Jean Gabus lui intimant de rentrer à Neuchâtel pour prendre un poste de chef de travaux à l'université. Jacques Hainard se sentait bien en Afrique où il vivait depuis deux ans et il a beaucoup hésité. Il pense avoir choisi la bonne voie en rentrant finalement en 1973. Son poste consistait à donner des cours d'ethnologie à l'université, suivre les étudiants et leurs travaux de séminaire. Jacques Hainard a en outre pu monter avec Pierre Centlivres l'Institut d'ethnologie, avec à l'époque entre 15 et 20 étudiants, contre près de 300 aujourd'hui – preuve que la discipline est de plus en plus prisée.
00:29:49 – 00:30:55 (Séquence 19) : Jacques Hainard raconte comment il a réfléchi sur la notion de collection : lui-même ne collectionne pas l'art africain, notamment pour s'éviter la tentation de garder pour soi des pièces qui devraient aller dans des musées. Il ne touche donc pas à l'ethnographie chez lui mais il collectionne néanmoins les tableaux et, depuis récemment, les vaches, notamment pour agacer les journalistes qui lui demandent sans cesse ce qu'il collectionne. Depuis, les gens lui amènent des vaches et la collection se fait toute seule, ce qu'il trouve très drôle.
00:31:04 – 00:33:22 (Séquence 20) : Jacques Hainard évoque son travail à l'université, son enseignement et ses étudiants à Neuchâtel, pour aborder la question du regard ethnologique. Il a étudié un exemple assez révélateur, celui des Bochimans, du désert du Kalahari. Les premiers observateurs des années 1880 se demandaient si ces êtres étaient bien humains, avant de leur conférer le statut d'humains. Des textes de tous genres circulent, véhiculant toutes sortes d'opinions et témoignant, au fil du siècle, d'un changement dans le regard porté sur les Bochimans, notamment dans les années 1970, avec l'écologie et l'anthropologue Marshall Sahlins. Ce dernier décrit en effet leur fonctionnement comme les premières sociétés de loisirs et d'abondance puisque les Bochimans travaillent peu mais mangent bien, tout en gérant leur environnement de façon saine et équilibrée. L'ethnologie a donc permis d'adapter le regard de l'histoire : toute vérité d'aujourd'hui peut ainsi devenir fausse demain. Cela illustre également la difficulté à changer d'avis, que l'ethnologie permet de résoudre.
00:33:32 – 00:36:04 (Séquence 21) : Jacques Hainard évoque sa nomination en 1980 à la tête du Musée d'Ethnographie, suite au départ de Jean Gabus en 1978. Pour lui, c'est le début d'une grande aventure car il devient le chef du musée et fait face à toute une série d'enjeux politiques, économiques, médiatiques et publics intéressants. Les choses se sont bien déroulées pour Jacques Hainard qui fait référence au premier ethnologue de Neuchâtel, Arnold Van Gennep, enseignant entre 1912 et 1915 à l'université et célèbre pour son livre sur les rites de passage et son manuel sur le folklore français. Van Gennep a été expulsé en 1915 de Suisse car il a écrit des articles impliquant l'inféodation du pays à l'Allemagne mais il a eu le temps d'organiser un des premiers colloques d'anthropologie et ethnologie à Neuchâtel en 1914 et grâce auquel la discipline a pu devenir autonome, notamment de l'archéologie. Jacques Hainard a choisi de rendre hommage à Van Gennep en 1981, lors de l'exposition "Naître, vivre et mourir". Il s'est ainsi situé avec sa liberté par rapport à ses pairs.
00:36:14 – 00:38:31 (Séquence 22) : Jacques Hainard explique sa redécouverte de l'histoire locale à travers sa compréhension de l'Afrique. Il a réalisé que le Musée d'Ethnographie de Neuchâtel dépendait d'une communauté locale alors qu'il ne collectionnait rien de la ville même, rien de Suisse ni d'Europe. Le musée ne contient en effet que des collections d'Afrique noire ainsi que quelques-unes d'Asie et d'Océanie. Il y a également des objets esquimaux, ramenés par Gabus. Au final, le musée abrite le patrimoine des autres, ce qui a permis à Jacques Hainard de réfléchir à la notion même de patrimoine et de proposer l'idée de musée comme médicament de la société aujourd'hui. Il est d'ailleurs rassurant pour les gens de savoir qu'il existe un endroit où entreposer les reliques de la société comme au musée. C'est ainsi que Jacques Hainard explique le pullulement des musées en Occident. Il cite en exemple la crise horlogère et le musée consacré à ce domaine, où les gens venaient se recueillir et célébrer cette industrie comme s'il n'y avait pas de crise.
00:38:42 – 00:42:09 (Séquence 23) : Jacques Hainard évoque son expérience muséale et ses choix quant au patrimoine et à l'institution elle-même. Il est parfois en conflit avec les conservateurs car il n'aime plus les expositions de juxtaposition. Il a donc réfléchi à ce qu'est une exposition : il s'agit d'une histoire. C'est sur ce modèle, que Jacques Hainard a axé sa politique d'exposé. Depuis une quinzaine d'années, le musée raconte donc des histoires, chaque année sur un thème différent. Jacques Hainard a également mené une réflexion sur les objets. Généralement, les conservateurs de musée sont au service des objets et Jacques Hainard a voulu inverser la tendance, en les utilisant pour construire une histoire et un discours. Ceci pose certains problèmes, notamment de conceptualisation. En outre, il n'y avait que de l'art primitif étranger pour raconter des histoires locales ce qui compliquait les choses. Des objets locaux ont donc été achetés dans les supermarchés, ils étaient utilisés pour des expositions puis jetés, jusqu'à ce que la direction réalise qu'ils étaient également des objets de musée en 1985. Un espace a donc été ouvert pour ces objets d'ici : l'espace gadget. Cela a changé la façon de concevoir et hiérarchiser les objets de notre société : en ce sens, la muséographie de Neuchâtel est unique.
00:42:21 – 00:44:08 (Séquence 24) : Jacques Hainard explique s'inscrire dans une démarche où le musée déstabilise le public, au-delà de la consécration automatique qu'il provoque. Dès qu'un objet passe le seuil d'un musée, il est ritualisé et consacré. En même temps, Jacques Hainard affirme que le musée devrait être un lieu de déstabilisation culturelle même si cela ne plaît pas aux autorités. Le savoir doit être remis en question et le musée doit interroger le visiteur. On ne peut lui en demander plus car l'exposition est un exercice spéculatif, d'autant plus qu'on n'apprend pas à lire les expositions à l'école et que l'ethnologie n'y est pas prétéritée puisqu'elle se découvre à l'université.
00:44:21 – 00:47:35 (Séquence 25) : Jacques Hainard évoque la figure et le pouvoir du conservateur de musée : il a même cherché à démontrer ce pouvoir lors d'une exposition qu'il a organisée, "objet prétexte, objet manipulé". Il s'agissait en effet de faire comprendre au public que des choix sont faits sous des éléments d'objectivité scientifique alors qu'en fait le goût du décideur est bien souvent en jeu. Ceci a été démontré à travers une sorte de ready-made à la Duchamp : un tableau du Musée d'Art et d'Histoire, décadré et proposé comme planche à repasser. Pour Jacques Hainard, foin de pédagogie outrancière : le public comprend beaucoup plus qu'on l'imagine. Il faut seulement lui donner des possibilités d'entrer dans le savoir en étant démocratique avec lui, soit en lui montrant qu'il n'a pas besoin d'être spécialiste pour venir au musée. Ainsi, l'interaction peut avoir lieu, comme deux ans auparavant, lors de l'exposition "La différence", qui a tourné en Europe et au Québec, au Musée de la Civilisation. Le public est allé au-delà de ce qui y avait été suggéré et a proposé d'autres solutions et d'autres questions. Jacques Hainard trouve cela formidable, car les gens comprennent enfin que la muséographie n'est pas n'importe quoi mais est un exercice important. L'exposition pourrait même être le médium d'avenir, selon lui, du moment qu'elle s'ancre dans la transversalité qu'il prône. Jacques Hainard lui-même prend dans chaque discipline, poésie, cyclisme, football, ethnographie, entre autres, pour construire un propos et raconter une histoire.
00:47:48 – 00:48:15 (Séquence 26) : Jacques Hainard est décrit comme un poète ethnologue par l'interlocuteur. Lui-même se considère comme un raconteur d'histoires et réfléchit sans cesse à la question suivante : que fait-on quand on fait de l'ethnologie? Fait-on de la science ou de la poésie? Ce questionnement se trouve également dans l'ouvrage de Geertz, "Ici et là-bas" : l'ethnologie d'aujourd'hui définit les conditions de fabrication de notre discours et de notre regard.
00:48:28 – 00:48:57 (Séquence 27) : Jacques Hainard considère la liberté comme la chose la plus importante pour lui. Il a récemment changé de directeur des affaires culturelles et ne lui a demandé qu'une chose : venir au musée, dire publiquement qu'il laisserait le musée fonctionner à l'avenir sans entrave ni volonté d'altérer sa liberté. Ceci a été fait de manière élégante et montre bien la façon dont les gens de Neuchâtel aiment travailler.
00:49:11 – 00:49:34 (Séquence 28) : Générique de fin du Plans-Fixes consacré à Jacques Hainard, ethnologue, conservateur du Musée d'Ethnographie de Neuchâtel, et tourné à Peseux le 11 juillet 1997.
Lien aux découpage sur la base de données original
Questo documento è stato salvaguardato con il sostegno di Memoriav.
304 Documenti in collezione